Indépendance ou dépendance : le développement algérien en question

Publié le 24 avril 2025 à 17:54

Sahby Mehalla

Soixante ans après la fin de la colonisation française, la question revient périodiquement dans les débats publics et les cercles intellectuels : et si l’Algérie n’avait pas accédé à l’indépendance ? Serait-elle aujourd’hui plus développée ? La réponse, complexe, nécessite de croiser les approches économiques, politiques et historiques.

L’économie coloniale : développement pour qui ?

Sous la domination française (1830–1962), l’Algérie a connu une modernisation partielle de ses infrastructures — routes, chemins de fer, ports, écoles — mais ces avancées profitaient majoritairement aux colons européens. Selon l’historien Gilbert Meynier, l'économie coloniale était conçue pour répondre aux besoins de la métropole, pas de la population autochtone [source : G. Meynier, "L’Algérie révélée", Éditions Bouchène, 2002]. En 1954, 87 % des terres cultivables étaient aux mains de 10 % de la population (les colons), tandis que les Algériens musulmans étaient exclus de la propriété foncière et vivaient, pour beaucoup, dans une misère extrême.

De plus, l’accès à l’éducation restait profondément inégalitaire : à la veille de l’indépendance, le taux d’alphabétisation des Algériens musulmans ne dépassait pas 10 %, contre 95 % chez les colons européens [source : Y. Benot, "Massacres coloniaux", La Découverte, 1994].

Le mythe du développement sous tutelle

Certains avancent que si l’Algérie était restée française, elle aurait suivi le modèle de développement des DOM-TOM ou même pu devenir un département moderne, comme la Réunion ou la Martinique. Pourtant, ce raisonnement fait abstraction de deux éléments clés : la spécificité démographique de l’Algérie (des millions d’Algériens musulmans contre moins d’un million de colons), et la nature fondamentalement discriminatoire du régime colonial.

Les pays qui ont conservé des liens étroits avec leur ancienne puissance coloniale ne sont pas forcément plus développés. Par exemple, Haïti, indépendante depuis 1804, reste pauvre, mais le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, pourtant très liés à la France (coopération militaire, CFA), peinent aussi à sortir du sous-développement.

Un développement post-colonial entravé

L’indépendance a donné à l’Algérie le contrôle de ses ressources naturelles, notamment les hydrocarbures. Mais les choix politiques post-1962, notamment l’étatisation excessive, la corruption et l’autoritarisme, ont freiné la diversification économique. L’historien Benjamin Stora le rappelle : « L’indépendance n’a pas toujours rimé avec démocratie » [source : B. Stora, "Histoire de l’Algérie coloniale", La Découverte, 1991].

Cependant, il serait erroné de confondre les effets de l’indépendance avec les échecs des régimes qui lui ont succédé. L’indépendance a posé les bases d’un État-nation, d’un système éducatif de masse (le taux d’alphabétisation est passé de 10 % en 1962 à plus de 80 % aujourd’hui selon l’UNESCO), et d’un secteur de santé public généralisé [source : UNESCO Institute for Statistics].

un faux dilemme

La question de savoir si l’Algérie aurait été « plus développée » en restant française relève d’un anachronisme dangereux. Elle suppose qu’un développement imposé par une puissance coloniale puisse être préférable à un développement souverain, aussi imparfait soit-il. En vérité, c’est moins la colonisation que les choix politiques, économiques et culturels faits depuis l’indépendance qui déterminent aujourd’hui le niveau de développement du pays.

S’interroger sur ce "what if" historique, c’est parfois oublier l’essentiel : l’indépendance n’est pas un choix économique, mais un droit fondamental à l’autodétermination. Et cela n’a pas de prix.

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