Souriez, parlez, courez… et vendez votre corps numérique. Meta, la maison mère de Facebook, vient de lancer une initiative technologique ambitieuse (et controversée) baptisée Project Warhol.
ÉCRIT PAR : SAHBY MEHALLA

En échange de 50 dollars de l’heure, des volontaires américains sont invités à livrer leur visage, leur voix, leurs gestes et leurs émotions à l’œil des caméras de l’entreprise, dans le but de nourrir des avatars ultra-réalistes pour le futur du métavers.
Officiellement, cette collecte vise à créer une nouvelle génération d’avatars « Codec » capables de reproduire fidèlement une personne dans des univers virtuels. Le rêve affiché : des interactions si naturelles qu’on oublierait qu’elles sont numériques. Meta veut révolutionner la « présence à distance » grâce à ses smart glasses et à sa plateforme Reality Labs, déjà lourdement déficitaire (plus de 60 milliards de pertes depuis 2020).
Mais derrière cette ambition, des questions fondamentales s'imposent : à qui appartient le corps que nous prêtons ? Et surtout, que fait Meta de ces données ?
Une rémunération attractive… pour une identité numérique livrée
L’entreprise passe par Appen, société spécialisée dans le micro-travail et l’étiquetage de données, pour recruter des participants. Le processus est simple : on vous demande de faire des grimaces, tenir des conversations, marcher, courir, sourire. En somme, de vivre devant des capteurs. En retour, un joli chèque horaire. Et la promesse de « contribuer à l’avenir ».
Mais quelles garanties réelles sont données aux participants ? Les données biométriques (expressions faciales, voix, posture) sont parmi les plus sensibles qui soient. Leur exploitation va bien au-delà de la publicité ciblée : elles peuvent servir à reconstituer, manipuler, voire cloner des identités.
Une technologie au service de qui ?
Si les défenseurs du projet y voient une avancée pour les interactions humaines à distance – avec des applications en médecine, formation ou télétravail immersif –, ses détracteurs y lisent une nouvelle forme d’extraction des corps : une économie où l’humain devient fournisseur de données, non plus par ses clics, mais par sa simple existence.
« Ils achètent nos visages, nos intonations, notre manière d’être… Et ils les revendront demain dans un environnement numérique qu’on ne contrôlera pas », alerte Kate Crawford, chercheuse en éthique de l’IA (Atlas of AI, 2021). Le tout sans réelle transparence sur la conservation, l’usage à long terme, ou la possibilité de révoquer ce "don corporel".
Le mirage du métavers : progrès ou capture ?
Meta cherche à sauver son pari du métavers après des années de critiques et de revers financiers. Mais au lieu d’investir dans un modèle éthique, elle mise sur la captation de données physiques intimes, contre quelques billets verts. Une transaction que beaucoup, demain, pourraient regretter.
À l’heure où les législations sur les données biométriques restent floues, surtout aux États-Unis, cette opération pose un précédent : et si, demain, nos expressions devenaient la propriété d’une entreprise ?
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