Washington renforce l’étau sur la tech chinoise : fin des licences, vers une nouvelle escalade stratégique

L’administration américaine a durci cette semaine ses restrictions à l’exportation de technologies vers la Chine, ciblant directement les outils cruciaux au développement des semi-conducteurs et de l’intelligence artificielle. Plus qu’un simple bras de fer commercial, c’est désormais un affrontement stratégique d’envergure qui se joue entre Washington et Pékin.

Des logiciels, mais pas seulement : Washington tire un trait sur les compromis

L’ordre est tombé sans appel. Selon le Financial Times, plusieurs licences d’exportation ont été révoquées, affectant des poids lourds du secteur comme Cadence Design Systems, Synopsys ou Siemens EDA. Ces entreprises détiennent près de 90 % du marché mondial des logiciels de conception de puces électroniques, appelés EDA (Electronic Design Automation), sans lesquels la production de circuits avancés devient presque impossible.

En parallèle, des fournisseurs comme Intel ou Qualcomm se sont vus contraints de cesser certaines ventes de puces à Huawei, malgré des années de relations commerciales encadrées par des licences spéciales. L’heure n’est plus à la modération. Pour Washington, limiter l’accès de la Chine aux technologies de pointe n’est plus seulement une option : c’est une priorité stratégique.

"La Chine ne doit pas pouvoir accéder à des technologies qui pourraient renforcer ses capacités militaires ou de surveillance", a déclaré un haut responsable du département du Commerce, sous couvert d’anonymat.

Réaction chinoise : investissements massifs et stratégie de contournement

Sans surprise, Pékin n’est pas restée silencieuse. En réponse aux nouvelles restrictions, le gouvernement chinois a annoncé l’accélération du déploiement de son fonds national pour l’industrie des circuits intégrés, avec une enveloppe record estimée à 47,5 milliards de dollars (344 milliards de yuans). Objectif : bâtir une filière nationale autosuffisante, capable de rivaliser à moyen terme avec les leaders occidentaux.

Le plan s’inscrit dans une stratégie plus large baptisée “double circulation” (双循环), qui vise à stimuler la demande intérieure et à réduire la dépendance vis-à-vis des technologies étrangères.

"Les États-Unis veulent nous freiner ? Alors nous courrons plus vite", a déclaré un responsable chinois au Global Times, dans un ton de défi mesuré mais ferme.

Un découplage irréversible ?

Ces dernières décisions renforcent une tendance observée depuis plusieurs années : celle d’un découplage technologique progressif, où chaque camp cherche à sécuriser ses chaînes d’approvisionnement, contrôler ses normes, et limiter les interconnexions avec l’autre.

Même la récente trêve douanière entre Washington et Pékin semble dérisoire face à ce virage structurel. La technologie devient le théâtre principal d’une rivalité globale, bien plus profonde que les seuls enjeux économiques.

"Ce n’est pas une guerre froide. C’est une compétition pour le contrôle des fondations mêmes du XXIe siècle : la donnée, l’intelligence artificielle, l’armement autonome", analyse Bonnie Glaser, directrice du German Marshall Fund à Washington.

Et maintenant ?

Si les restrictions américaines sont pensées pour ralentir la progression technologique de la Chine, leur effet exact reste incertain. Pékin a montré par le passé sa résilience, et surtout sa capacité à contourner les embargos par des alliances internationales ou des percées inattendues. En 2023, Huawei avait déjà surpris le monde en dévoilant un smartphone 5G conçu en grande partie avec des composants nationaux, malgré les sanctions.

Ce nouvel épisode risque donc d’intensifier une course à l’innovation où chaque avancée devient un acte politique. Entre sanctions, ripostes et investissements massifs, une chose est sûre : la fracture numérique mondiale est en train de se creuser.